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Faut-il également confiner le libre-arbitre?

26 avril 2020
in Cartes Blanches
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Alors que sévit la plus grande crise sanitaire que le Terre ait connu depuis un siècle, il est urgent de trouver des solutions afin de contrecarrer les projections catastrophiques que nous livrent chaque jour les instituts de santé du monde entier.

Ainsi la Chine, que l’on considère désormais quasi “tirée d’affaires”, a pris des mesures drastiques: un dépistage à très large échelle, une prise en charge intégrale des patients, et le confinement à domicile de toutes les personnes vivant dans les poches d’éclosion. A cette stratégie a été greffée une application “QR Health Code” qui fait maintenant office de laisser-passer sur tous les mobiles des citoyens chinois. Le fonctionnement de l’application est en apparence assez simple: il vous suffit de répondre à un questionnaire de santé qui, selon vos réponses, jugent de votre niveau de risque face au coronavirus. Ce suivi prolongé des citoyens chinois permettant de juguler tout retour de la maladie ne vient pas sans contrepartie : le New York Times rapporte que cette application semble également partager ses données avec la police, à qui elle fournirait l’identité, la localisation et bien sûr le code couleur de chaque utilisateur. Même son de cloche à Singapour, Taïwan ou encore en Corée du Sud, où la traçabilité est une mesure qui a gagné beaucoup de popularité. Le docteur Lee Jong-Koo (spécialiste Coréen des épidémies) affirme d’ailleurs que “ce qui compte vraiment, ce ne sont pas les tests, mais le traçage et l’isolement qui suivent”. Comme en Chine, le gouvernement coréen peut retracer l’ensemble des déplacements et interactions de sa population via une application installée sur les téléphones portables de ses citoyens. “La seule solution est d’être transparent” résume le docteur Lee Jong-Koo. Plutôt facile à dire ET à faire pour des pays que l’on sait largement inspiré par le confucianisme.

Pour certains philosophes et historiens, cette aptitude si singulière s’explique en effet par les racines culturelles des pays asiatiques. Le confucianisme est l’une des écoles de pensées les plus influentes en Chine et en Asie de l’Est. Cette philosophie estime que la réforme de la collectivité n’est possible qu’à travers celle de la famille et de l’individu, et nécessité de facto une classification verticale très poussée des couches de la société, érigeant en tant que dogme l’obéissance aux puissants. Cette philosophie, axée sur le primat du bien commun, s’oppose à bien des égards aux philosophies occidentales. Comme le souligne Gaspard Koenig, philosophe et essayiste, il existe en effet une difference culturelle fondamentale entre asiatiques et occidentaux quant à la question de la liberté. Pour étayer son argument, ce dernier utilise l’exemple de l’Intelligence Artificielle: selon lui, la Chine et les pays asiatiques ne se jettent pas dans la course effrénée au progrès en renonçant à toute éthique. “Tout au contraire la Chine embrasse l’IA d’autant plus volontiers que cette technologie correspond à ses valeurs profondes”. L’attitude européenne à l’égard de l’IA est bien moins enthousiaste: l’adoption du Règlement général sur la protection des données (RGPD), la création du la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’apparition de navigations anonymisées par des hackers telles que Tor en Allemagne sont autant de manifestations qui montrent la réticence des sociétés européennes à l’idée que l’IA puisse toucher à leur libre arbitre, soit à leur capacité de faire un choix par elles-mêmes, sans influence ou stimulus extérieur. A ces valeurs libérales se heurte donc le confucianisme asiatique, où sacrifier sa vie privée procurerait davantage de bien être et de sécurité. La gestion des données personnelles durant cette crise en est un exemple criant: plus de données pour plus de sécurité, moins de vie privée pour plus de bien commun, moins de libre arbitre pour plus d’”arbitre libre”.

Ce simple chiasme en apparence recèle un véritable débat: sommes-nous, sociétés occidentales, prêtes à appliquer un modele similaire dans lequel le libre arbitre, que nous chérissons tant, serait amener à disparaitre? Car plus qu’un simple concept philosophique, le libre arbitre est en théorie le coeur de la démocratie, garante de la liberté et des droits de l’homme.

Comme le racontait Thucydides lorsque la peste d’Athènes sévissait du temps de Périclès, les Grecs renoncèrent à prendre des mesures d’exception et préférèrent rester attachés à la démocratie, un bien qu’ils considéraient comme fragile et inestimable. En est-il toujours de même? Bien évidemment, la condition humaine a progressé entre temps, les systèmes de santé se sont développés, et de nombreux progrès scientifiques autour de l’hygiène ont été réalisés. Mais à quel prix? Yuval Noah Harari distingue bien le paradoxe ironique qui ancre nos sociétés: plus la condition humaine s’améliore, plus les urgences sont fréquentes. Or ce phénomène a des conséquences politiques: pour le philosophe Giorgio Agamben, cette obsession sécuritaire fait muter la démocratie. Selon lui, le passage de l’Etat de droit à l’Etat de sécurité, où les raisons de sécurité prennent le pas sur la raison d’Etat, n’est en aucun cas souhaitable à nos démocraties. Ces mesures exceptionnelles, que l’on perçoit telles des boucliers protégeant la démocratie, installeraient au contraire les pouvoirs totalitaires, comme ce fut le cas en Europe au 20ème siècle.

Plus qu’un combat scientifique contre un virus, la crise du Covid-19 s’apparenterait donc à une lutte philosophique, un bras de fer qui voit s’affronter deux idéaux, deux concepts distincts, à savoir la liberté et la sécurité? Michel Foucault, dans un cours repris au Collège de France en 1974, décrivait la prise en compte progressive par le pouvoir de la vie de la population en période de quarantaine. C’est toute la thèse de sa premiere oeuvre majeure Histoire de la folie à l’âge classique dans laquelle il analyse l’exemple des léproseries, qui ont perduré bien après la fin de la lèpre, afin de contrôler les fous et les deviants.

Au vue de ces différentes manifestations de craintes et de mises en garde quant à la réduction de notre liberté, difficile d’imaginer les pays occidentaux appliquer sciemment la stratégie sécuritaire asiatique. La CNIL rappelle d’ailleurs la nécessité de la conservation du libre arbitre si les citoyens français devaient faire l’objet d’un suivi informatique individuel durant la crise du coronavirus: “dans les cas où un suivi individuel serait nécessaire, il devrait reposer sur une démarche volontaire de la personne concernée”.

Cette déclaration est très symptomatique de l’exigence culturelle profonde qui habite les sociétés européennes, dont le rejet de la transparence semble caractériser les moeurs. Norbert Elias montra dans La Civilisation des moeurs à quel point la sphère privée s’était peu à peu créée et imposée en Europe au fil des siècles, depuis l’apparition de la fourchette jusqu’à la maîtrise des désirs. Selon lui, tout l’enjeu de la civilité est de savoir s’isoler physiquement et émotionnellement de ses semblables. Seule une forme d’intimité nous permettrait de développer une personnalité propre. Cet individualisme civilisationnel dont nous sommes si fiers semble se poser en parfait antithèse avec la culture asiatique, moins soucieuse de pudeur. Devrions-nous donc céder aux sirènes confucéennes et parjurer notre héritage culturel; où bien au contraire devrions nous agir en stoïcien, au risque de nous suicider?

Par Jean Ginesty

1 Comment
    Luc LM says: Reply
    avril 26th 2020, 12 h 51 min

    Et dans l’Oural, ils sont asiatiques ou européens? 🙂 Il me semble difficile de prétendre analyser un problème politique uniquement avec des données “culturelles”, au sens philosophique où vous l’entendez. Vous parlez vaguement de “valeurs profondes”, d'”exigences culturelles”, de fierté civilisationnelle, et le tout au nom d’un “nous” duquel je préfèrerais que vous ayez la grâce de m’exempter. Peut-être la lecture plus attentive de Foucault vous remettra sur la piste d’une réflexion plus concrète, plus éloigné des dogmes à cravates ?

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