PROPOSITIONS :
- Exonération de PFU pour les dividendes perçus par les particuliers dans le cadre d’investissements à caractère durable.
- Création d’un allègement fiscal de même nature pour les souscriptions des entreprises et des particuliers à une IPO à “impact écologique »
- Pour la clarification des labels actuels en matière de développement durable, d’ISR et d’ESG :
- Création d’une taxe pigouvienne de solidarité environnementale sur les firmes les plus pollueuses et au profit des entreprises aux modèles durables
1. CONSTAT
L’actuel cadre juridique :
L’article 28 de la loi de finance pour 2018 du 30 décembre 2017 entendait réformer les règles d’imposition à l’IR des gains nets de cessions de valeurs mobilières et droits sociaux, des profits sur instruments financiers à terme réalisés dans le cadre de la gestion patrimoniale privée, ainsi que des perceptions de dividendes. C’est ainsi que l’article 200 A du CGI prévoit dans son 1.A.2°B.1° un tau forfaitaire unique d’imposition de 12,8% augmenté de 17,2% de CSG. Dans le langage commun la flat-tax à la française permet donc une imposition forfaitaire des revenus du capital à 30%. Le taux d’imposition du PFU de 12,8% est inférieur à celui qui PFL (prélèvement forfaitaire libératoire) qui le précédait et qui s’élevait, à titre informatif, en 2012 à 24% pour les produits de placement à revenu fixe et 21% pour les dividendes.
Impact macroéconomique de l’instauration du PFU :
La réforme de 2013 qui avait abouti à la mise en place mise au barème de l’IR des revenus mobiliers avait entraîné une chute des versements de dividendes. Suite à un premier rapport du comité d’évaluation des réformes sur la fiscalité du capital de France Stratégie il était fait mention d’une forte hausse des versements de dividendes par les entreprises en 2018, avec une progression qui étalée également sur 2019.
En 2019 les dividendes versés par les sociétés non financières, SNF, étaient de 37,4 mds €, soit 8,9% de l’EBE total de ces SNF. En outre les dividendes reçus par les ménages marquent une nette hausse en 2018 et 2019 pour dépasser les 40 milliards d’euros et le niveau atteint en 2012, avant la suppression du prélèvement forfaitaire libératoire et la soumission des dividendes au barème de l’impôt sur le revenu.
L’article récent de Bach et al. permet de mettre en évidence que les entreprises entièrement possédées par des personnes physiques sont plus sensibles au PFU que celles où les actionnaires physiques sont minoritaires. Selon eux le PFU a entraîné une hausse d’environ 15 % des dividendes entre 2017 et 2018 chez les entreprises entièrement possédées par des personnes physiques (+0,3 point de bilan, pour un ratio initial de dividendes sur bilan de 2,4 %).
Au total, ces résultats indiquent que la réforme de 2018 a augmenté la distribution de dividendes par les entreprises détenues par des personnes physiques.
Déficit d’attractivité fiscale des levées de fonds par les investisseurs particuliers en FCPI et FIP; illustration de l’impact de la fiscalité financière sur les décisions d’investissement :
Les gestionnaires de fonds communs de placements dans l’innovation (FCPI) et de fonds d’investissement de proximité (FIP) mettent en place des instruments permettant aux souscripteurs de financer des entreprises innovantes et des PME régionales. Créés par la loi de finances pour 1997, les FCPI investissent au moins 70 % de leurs actifs dans des PME à caractère innovant. Ce critère s’apprécie par un niveau minimal de dépenses en R & D ou par obtention de la qualification via un organisme public compétent. Les FIP, quant à eux, ont été créés en 2003 par la loi Dutreil, et investissent au moins 70 % de leurs actifs dans des PME régionales créées depuis moins de huit ans et situées dans une zone géographique limitée à quatre régions.
Ces levées de capitaux en 2020 se sont montées à 330 millions d’euros auprès de 54 000 souscripteurs, en globale stabilisation par rapport à 2019. Les FCPI récoltent 73% de ces fonds, contre 27% pour les FIP. Lorsqu’on observe le nombre total de souscripteurs, tous millésimes confondus, par fonds on constate une globale stabilisation depuis 2018 (57 000 puis 50 000 en 2019 et 54 000 en 2020), qui cache en réalité une très importante baisse du nombre de souscripteurs par fonds depuis 2017 (division par pratiquement 3 entre 2017 et 2018, passant de 1 084 millions d’euros à 335). En effet la réforme fiscale de 2018 a rendu en partie caduque l’intérêt fiscal des investissements via ces véhicules, puisqu’ils n’avaient plus à proposer le dispositif ISF-PME permettant d’optimiser son ISF.
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Cette baisse d’attractivité des FCPI et FIP peut s’expliquer par plusieurs facteurs énoncés par France Stratégie dans le deuxième rapport du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital d’octobre 2020. Parmi eux figurent la suppression du dispositif ISF-PME, l’incertitude en 2019 quant à la hausse éventuelle de 18 à 25% du taux de réduction d’IR au titre de l’IR-PME ou encore l’instauration au 1er janvier 2019 du relèvement à la source pour la collecte de l’IR qui a conduit certains particuliers a retarder leur décision d’investissement au titre de l’IR-PME en raison de l’incertitude quant aux modalités de son application cette année-là.
Cette situation est un exemple parlant parmi tant d’autres des effets de la fiscalité du capital sur les décisions d’investissement des particuliers à travers des véhicules financiers. Cela nous permet donc de nous interroger désormais plus concrètement sur l’impact d’une exonération fiscale sur les décisions d’investissement des ménages dans des domaines stratégiques et/ou durables.
L’impact budgétaire positif de la réforme du PFU poussé par une hausse de l’assiette fiscale :
Entre 2017 et 2018, les revenus du haut de la distribution augmentent très fortement. La moyenne des revenus déclarés par les 0,1 % les plus aisés de 2018 (soit 38 000 foyers fiscaux) est supérieure de 27,5 % à la moyenne des revenus déclarés par les 0,1 % les plus aisés de 2017. La médiane des revenus déclarés par les 1 % les plus aisés (soit 380 000 foyers fiscaux) progresse de 7,5 %, tandis que la hausse du revenu médian de l’ensemble des foyers est de 2,5 %. Le contraste est fort avec les deux années précédentes : le revenu moyen des 0,1 % les plus aisés augmentait beaucoup plus que le restant de la population, mais dans de moindres proportions qu’en 2018 (+6 % en 2016, +10 % en 2017 ; la progression du revenu des 0,9 % les plus aisés suivants était la même que celle du revenu médian en 2016 (+1,5 %) et seulement un peu plus élevée en 2017 (+2 % contre +1,2 %).
La forte augmentation des dividendes en 2018 concomitante à la création du PFU et les estimations comportementales des réformes antérieures laissent supposer que la création du PFU aurait eu un impact causal favorable sur son assiette fiscale. L’étude de Paquier et Sicsic en 2020 analyse ainsi l’effet de la réforme du PFU sur le revenu des ménages et les recettes fiscales et conduit à considérer que l’effet comportemental lié au PFU sur les dividendes aurait entraîné 500 millions de recettes fiscales de plus que la situation où les dividendes n’auraient pas augmenté.
Une hausse des distributions de dividendes inégalement répartie entre les foyers fiscaux :
Les foyers dont les dividendes reçus ont baissé de plus de 100 000 euros en 2013 représentent 0,07 % des foyers fiscaux. Ceux dont les dividendes ont augmenté de plus de 100 000 euros en 2018 représentent 0,06 % des foyers fiscaux. Ceux dont les dividendes ont à la fois fortement baissé en 2013 et fortement augmenté en 2018 représentent seulement 0,01 % de l’ensemble des foyers, donc une minorité de ceux ayant connu une forte de baisse de dividendes en 2013 (un sur sept) comme de ceux ayant connu une forte hausse de dividendes en 2018 (un sur six).
Pour autant, ces 3 800 foyers pèsent de manière significative dans l’évolution des montants globaux de dividendes en 2013, comme en 2018. Ils totalisent à eux seuls 1,1 milliard de baisse de dividendes entre 2012 et 2013, soit 15 % de la baisse constatée sur l’ensemble du panel des 24 millions de foyers observés de 2012 à 2018, et 12,5 % de la baisse totale constatée sur l’ensemble des foyers fiscaux. Entre 2017 et 2018, leurs dividendes ont à l’inverse augmenté de 1,7 milliard, soit 25 % de la hausse nette totale des dividendes constatée sur l’ensemble du panel et 20 % de la hausse totale constatée sur l’ensemble des foyers fiscaux.
2. OBJECTIFS
- Concernant la mise en place d’incitations fiscales visant à valoriser les investissements dits « ISR » des particuliers
Notre proposition consiste en l’exonération de PFU pour des investissements ciblés dans des secteurs stratégiques et/ou durables. Elle permettrait de mettre en place un dispositif fiscal incitatif pour mieux flécher l’épargne des ménages dans la transition énergétique et l’autonomie stratégique française.
Il a été observé jusqu’ici par les économistes et les travaux de France Stratégie que le PFU a entrainé une forte hausse des distributions de dividendes, mais que cet effet a été très concentré sur les revenus les plus hauts. De plus il est aujourd’hui impossible de déterminer une effet direct clair entre la mise en place du PFU et l’augmentation du nombre d’investissements dans les entreprises françaises, bien que ce mécanisme a pour visée première l’attractivité fiscale et la compétitivité de la France. Si l’on se doute que ce dispositif aura des effets sur l’investissement dans les entreprises, il n’en demeure pas moins qu’il y a besoin concrètement d’en faciliter les manifestations concrètes à court et moyen terme. Pour cela il serait intéressant de mettre en place ce dispositif incitatif d’exonération de PFU sous condition que les dividendes perçus soient d’une part le produit d’un investissement dans une entreprise durable ou stratégique, et d’autre part en amont le fruit d’une propre distribution de dividendes. En d’autres termes un particulier perçoit un dividende en 2021. Il aurait dans le cadre de ce dispositif deux options : soit il décide de liquider le dividende pour son quotidien (auquel cas il s’acquittera de la flat-tax), soit il décide de le ré-investir dans une entreprise durable ou stratégique avec un engagement de conservation de deux ans (auquel cas il pourra aux terme de ces deux années récupérer en franchise d’impôt le produit de son investissement initial dans l’entreprise augmenté du produit des sous-dividendes qui en auront résulté).
Pourquoi ce mécanisme ? Car l’augmentation des versements de dividendes consécutive à la mise en place du PFU en 2018 a touché principalement les foyers fiscaux les plus importants, assez peu les foyers fiscaux moins aisés, voir même pratiquement pas les foyers fiscaux modestes. Or ces dividendes distribués ne sont pas nécessairement réinjectés dans l’économie réelle immédiatement et il dans tous les cas très complexe d’identifier avec exactitude au niveau macroéconomique l’évolution de leur trajectoire. La création de ce dispositif permettrait d’assurer un fléchage des produits du capital directement dans l’économie durable, et pourra être progressivement étendue ensuite aux foyers fiscaux plus modestes. L’important en matière d’impact investing et d’économie durable est de parvenir à allouer les moyens nécessaires à la transition de notre modèle de société. Sans la participation capitalistique des plus hauts revenus et des entreprises les fonds ne seront jamais suffisant pour donner à notre économie le moyen de ses ambitions à long terme pour la planète et la croissance. Il est donc urgent de mettre en place une nouvelle panoplie de dispositifs coercitifs et incitatifs pour flécher le capital en direction de la durabilité et de la croissance verte, au rang desquels on doit trouver la proposition susmentionnée.
Comment faire se transformer des pollueurs par nature en des acteurs de la transition écologique ?
Le service de l’intérêt général n’est par définition par dans la génétique des entreprises. Ce sont des individus rationnels qui arbitrent en fonction de variables économiques et financières, la durabilité et la responsabilité n’étant qu’une variable d’ajustement. Encore une fois ce constat n’est pas un jugement de valeur : la satisfaction de l’intérêt général relève des fondations, des associations et des organisations humanitaires. Pourtant, si nous ne nous donnons pas les moyens de changer les logiciels de pensée des entreprises, premières sources d’émission de carbone, la transition tant espérée n’arrivera que trop tard. C’est l’enjeu numéro un de la transition écologique : inclure les entreprises à ce mouvement de société en leur montrant leur intérêt rationnel à y participer, sinon quoi elle n’y mettront jamais assez d’énergie. Il existe suffisamment d’outils pour contraindre les entreprises à respecter leurs diverses obligations en matière de développement durable. A contrario les outils incitatifs qui sont à leur dispositions sont soit trop peu incitatifs, soit trop complexes à mettre en place, voir souvent les deux. Il est donc important d’avoir une pensée plus construite concernant les leviers que les pouvoirs publics doivent mettre en place pour que les entrepreneurs voient leur intérêt à participer à la transition écologique. Tant que leur modèle économique contre-indiquera toute modification de leur stratégie en faveur de plus de durabilité il n’est pas utile d’espérer des entreprises une quelconque prise de conscience, il est aisé de les comprendre. La clé de voute de cette réflexion repose donc essentiellement sur l’incitation financière, et non comme on le croit aujourd’hui malheureusement trop sur l’incitation marketing.
Nous nous positionnons donc :
- Pour la création d’une exonération fiscale sur les investissements durables des particuliers :
Pour créer cette incitation financière nous pensons indispensable de repenser en profondeur la fiscalité financière ISR. Nous appelons de nos voeux une réforme fiscale qui créerait à la fois du coté des personnes physiques et des personnes morales une incitation à investir dans les entreprises qui respecteraient un ensemble de critères extra-financiers reposant sur des normes ESG. Pour cela nous pensons judicieux d’aligner la fiscalité des investissements des particuliers dans des entreprises labelisées sur la fiscalité des dividendes dans le régime des sociétés-mères, c’est à dire une exonération d’imposition l’ensemble des dividendes reversés aux particuliers par lesdites entreprises avec réintégration d’une quote-part de frais et charges de 5%.
- Pour la création d’un allègement fiscal similaire pour les souscriptions des entreprises et des particuliers à une IPO à « impact écologique » :
Nous proposons également aux décideurs de repenser la fiscalité financière à travers la mise en place d’un allègement fiscal pour toutes les personnes physiques ou morales qui souscriraient à une introduction en bourse par augmentation de capital ou émission obligataire à impact économique. Sous condition d’une détention d’une durée d’au moins deux ans et dans la limite d’un plafond de 10 000€, le montant maximal actuel des avantages fiscaux en France, les personnes qui souscrivent à ces actions ou obligations à impact écologique pourraient bénéficier d’une réduction d’IR à hauteur de 25% de l’investissement réalisé. A travers cette mesure nous ne faisons que proposer d’étendre et d’alléger le principe d’un dispositif déjà existant pour les PME européennes à impact écologique sous condition de détention des titres durant au moins 5 ans.
- Pour la clarification des labels actuels en matière de développement durable, d’ISR et d’ESG :
La réalisation de mesures fiscales incitatives pour les particuliers et les entreprises en faveur de la transition écologique implique nécessairement une clarification des labels et des critères sur lesquels reposer l’octroi de tels avantages. Nous proposons donc la création d’un label d’impact écologique, plus exigeant que l’ISR, qui viserait spécifiquement les acteurs ayant pour activité principale le développement de solutions écologiques et la réduction de l’impact carbone.
2. Nous nous positions également pour la création d’une taxe pigouvienne pollueur-payeur-investisseur : la taxe de solidarité environnementale
D’un point de vue externe au processus de production, il faut réfléchir des nouvelles stratégies marketing, ou encore la réduction des dépenses de packaging. Cela se fait en pratique en étudiant la réactivité de l’élasticité-prix des consommateurs, c’est à dire la mesure de l’impact psychologique des modifications de produit sur leur propension à consommer. En d’autres termes, ce ne sont pas les modèles de consommation des ménages qu’il faut faire évoluer, mais les modes de commercialisation et de merchandising des entreprises. Sur cette question, les investissements en campagne publicitaires de certaines sociétés sont pharamineux. Mais est-il possible de jeter la pierre à des structures dont le seul objet est la maximisation du profit ? L’utilisation de campagnes publicitaires agressives est un des enjeux fondamentaux sur lesquels que les politiques publiques peuvent insister pour atteindre les firmes les moins respectueuses des normes environnementales.
Ainsi, une des solutions envisageables pourrait être la mise en place d’un mécanisme pollueur-payeur focalisé sur les dépenses de communication. Les firmes qui ne respectent pas leurs obligations de conformité aux normes environnementales pourraient être visées par des « taxes de solidarité environnementales » qui seraient ensuite ré-orientées vers les entreprises développant des stratégie de croissance verte, afin de booster leurs dépenses d’innovation. Cette solution présente le double avantage d’avoir un effet désincitatif à la pollution, et un effet accélérateur de la transition des modèles de production des firmes. En effet, le bénéfice de cette aide, qui peut être faite sous la forme d’un crédit-impôt, sera normalement une réaction proportionnelle des politiques de dépollution et des investissements en R&D. De surcroit, la solution du marché permet de ne pas rajouter une contrainte supplémentaire sur les dépenses publiques environnementales. Les firmes les plus pollueuses financent l’innovation des firmes les moins pollueuses, et les pouvoirs publics ont un rôle de régulateur dans ces transactions.
3. RÉALISATION
- Détermination du domaine et des des conditions à satisfaire pour bénéficier du dispositif :
- Pour les entreprises stratégiques : se rapporter à la notion de secteur stratégique du CMF (article R. 153-2 code mon. fin.)
- Pour les entreprises durables : piste à chercher dans les critères ESG et éventuellement une condition complémentaire sur le calcul de l’empreinte carbone.
- Procédure pour obtenir un agrément afin d’informer ses actionnaires de l’exonération : c’est à l’entreprises d’exiger un rescrit fiscal de la part de l’administration. Ensuite elle informe ses actionnaires et leur fournit une copie conforme de ce rescrit, qui fera foi lors de leurs déclarations de revenus.
- Précision technique sur l’exonération : il s’agit d’aligner la technique fiscale de ce dispositif sur le régime d’exonération de dividendes des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du CGI. Il s’agira donc d’une exonération de PFU sur les dividendes versés avec la réintégration dans la déclaration sur le revenu à la catégorie des capitaux mobiliers d’une quote-part de frais et charge de 5%.
- Détermination de critères quantitatifs sur lesquels fonder le rescrit :
A. Les composantes principales du rescrit :
Le premier enjeu revient à déterminer les critères d’éligibilité des entreprises au dispositif. Il serait incongru d’établir une classification ex-nihilo des critères permettant de définir quelles sont les entreprises qui ont des modèles économiques « durables ». Nous disposons aujourd’hui d’une littérature économique et financière fournie en matière de critères ESG, et bien qu’il n’existe pas de classification unifiée de ce qui relève ou non de l’ESG on peut néanmoins dégager des points de convergences qui pourront faciliter la décision de l’Administration fiscale lors de l’attribution du rescrit.
Les critères ESG reposent comme leur nom l’indique sur la réunion de trois piliers extra-financiers au sein desquels on trouve selon Novethic plusieurs composantes:
- Le pilier environnemental :
- L’intensité carbone des entreprises : les émissions de gaz à effet de serre en tonne par milliers ou d’euros de chiffre d’affaires
- La consommation d’énergie en équivalent MWh
- Les filiales ayant une démarche également ESG en % du nombre d’entreprise. Ici on vise les groupes dont la société mère souhaiterait bénéficier du dispositif, ou les hypothèses dans lesquels une personne morale possédant deux ou plus autres entités demanderait à bénéficier du dispositif.
- La consommation d’eau en m3.
- Le montant total des sanctions environnementales sur 10 ans, établies ou estimées dans le cadre de contentieux impliquant une variable environnementale directement ou indirectement.
- Le pilier de gouvernance :
- La présence de femmes au Conseil d’administration ou Conseil de surveillance et surtout au Comité exécutif, en proportion du total des membre du CA/CS et Comex.
- La rémunération des dirigeants en fonction de leurs performances ESG (afin de soumettre la rémunération des dirigeants à des critères de performance ESG). Cela a été notamment mis en place en 2013 par AGICAM.
- La signature du Pacte mondial des Nations Unies
- La séparation des fonctions de Président et de Directeur général lorsque la forme sociale l’impose ou le permet.
- La mise en place d’un mécanisme de say on pay.
- La rémunération du top 10% des plus gros salaires de la société.
- Le pilier social :
- La création nette d’emploi en France par rapport à la création nette d’emploi dans le reste du monde par l’entreprise (dans l’optique d’inciter les entreprises à réimplanter leurs moyens de production en France).
- Le taux de variation des effectifs en équivalents temps plein sur l’exercice en cours et les deux exercices précédents.
- L’évolution du taux de rotation des effectifs sur 5 ans
- La part de filiales ayant instauré des clauses sociales et environnementales dans les contrats cadres avec leurs fournisseurs
- La part des femmes dans les effectifs et son évolution sur 5 ans.
- Le taux d’emploi de personnes handicapées et son évolution sur 5 ans.
- Le taux de fréquence moyen des accidents du travail sur 4 ans
- Le taux de gravité moyen des accidents du travail sur 4 ans
- Le pourcentage de femmes dans le management
- L’annonce de licenciements ou la mise en place de restructurations préventives agressives.
B. Les difficultés de mise en place du dispositif :
Certaines difficultés demeurent toutefois une fois qu’on a identifié les composantes principales sur lesquelles fonder les critères ESG. En effet il faut encore les quantifier secteur d’activité par secteur d’activité (a), contrôler la véracité des chiffres fournis par les entreprises à l’administration fiscale au moment de la délivrance du rescrit (b) contrôler de manière régulières le respect des conditions du dispositif (c).
Concernant le premier enjeu, c’est à dire quantifier par secteur d’activité les seuils à partir desquels on peut dériver un label ESG, il nécessitera un investissement important en recherches de la part des pouvoirs publics pour mettre au point une classification harmonisée. A noter toutefois que des données préexistent, récoltées par divers fonds d’investissements.
Concernant le problème lié au contrôle de la véracité des informations fournies à l’administration fiscale par les entreprises lors de leur demande de rescrit la difficulté est davantage un enjeu d’ordre de compétence que d’ordre technique. Il n’est évidement pas de la compétence du Fisc de rechercher pour chaque entreprise. Il serait adéquat de se reposer sur des agences de notation extra-financières.
Enfin pour la question du contrôle du respect des conditions du rescrit il pourra être effectué par la même entité chargée de l’évaluation des conditions lors de la demande initiale de bénéficier du dispositif.
C. Solution et proposition de fonctionnement du dispositif
L’entreprise calcule elle-même si elle remplit pour son secteur d’activité les critères ESG fixés par le Fisc. Elle demande ensuite la labellisation de son calcul à une autorité indépendante qui peut être soit une AAI préexistante (l’AAI qui se rapproche le plus du secteur d’activité de l’entreprise : par exemple l’Autorité de régulation des transports pour les secteurs routiers et du transport, ou encore l’AMF pour les entreprises du secteur financier,…) lorsque cela est possible (a); soit une nouvelle AAI chargée de l’évaluation et du contrôle du respect de ces critères ESG (b), soit une agence de notation extra-financière (c). Cette troisième option est la plus viable. Une fois que l’organisme chargé de valider l’évaluation ESG de l’entreprise donne son aval cette dernière se met en relation avec le Fisc en lui transmettant l’ensemble de son étude et l’homologation par l’organisme indépendant justifiant du respect des conditions du rescrit. Après un contrôle complémentaire de l’administration fiscale, notamment afin de lutter contre les abus de droit et la fraude éventuelle, elle délivre le rescrit
- Détermination de la notion de secteur stratégique
Concernant l’identification des secteurs stratégiques qui pourraient être également visés par le dispositif deux options sont envisageables. D’abord il serait possible de créer une notion autonome, propre au code général des impôts, de ce qu’est une entreprise stratégique. A défaut il est également possible de se reposer sur les secteurs d’activités visés par l’article L. 151-3 du code monétaire et financier concernant la protection de certaines entreprises contre des prises de participations hostiles venues de l’étranger. Si cette seconde option offre une certaine simplicité dans l’élaboration du dispositif il n’en demeure pas moins que le domaine des secteurs stratégiques est large et serait susceptible de couvrir certaines entreprises alors même que les pouvoirs publics n’auraient pas la volonté de faciliter l’investissement en leur sein. Si l’administration fiscale disposera évidement du dernier mot et pourra, sur le fondement d’une interprétation stricte de la notion, refuser le rescrit auxdites entreprises il n’en demeure pas moins que cette alternative est susceptible d’ouvrir un risque contentieux assez important.
Rappel autour de la notion de secteur stratégique dans le code monétaire et financier :
Le cadre juridique interne concernant la protection des secteurs dits « stratégiques » est issu de la loi du 9 décembre 2004, qui a introduit dans le code monétaire et financier l’article L. 151-3. Ce dernier prévoit que sont soumis à l’autorisation préalable du ministre de l’économie « les investissements dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l’exercice de l’autorité publique ou relève d’activités de nature à porter atteinte à la sécurité et l’ordre public, ainsi qu’aux intérêts de défense nationale, aux activités de recherches, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives ». En somme la loi de 2004, complétée par le décret Villepin du 30 décembre 2005, donnait initialement une teinte particulièrement régalienne à la conception que l’on se faisait des secteurs stratégiques. Mais le monde étant ce qu’il est, cette interprétation limitative aux seuls enjeux de défense ne suffisait pas à protéger nombre d’autres entreprises et productions pourtant essentielles à la protection des intérêts nationaux. C’est à cet effet que le célèbre décret Montebourg du 14 mai 2014 a élargi le domaine des secteurs stratégique à l’article R. 153-2 du code monétaire et financier, et a renforcé les outils nécessaires à leur protection à l’article R. 153-1. Ainsi sont systématiquement visés les investissements étrangers qui permettent d’acquérir le contrôle d’une entreprise dont le siège social est établi en France, ou même de franchir le palier des 33,33% de capital ou de droits de vote d’une entreprise dont le siège social est en France.
Tout l’enjeu est de délimiter les frontières de la notion de secteur stratégique, car leur extension a pour effet d’étendre la protection du ministre de l’économie à un plus grand nombre de nos entreprises. A ce titre ce domaine a été encore récemment modifié par le décret du 29 novembre 2018, qui a procédé à une extension de la liste des activités concernées par le dispositif de l’article R. 153-2 à un certain nombre de secteurs directement ou indirectement liés à ce qu’on nomme communément la « French Tech ». A l’occasion de la publication de ce décret Bruno Le Maire avait d’ailleurs clairement affiché la philosophie gouvernementale : la France « ne se fera pas piller ses technologies et son savoir faire ». Ces propos donnent le sens de 14 années d’extension progressive de la notion de « secteurs stratégiques », dans une optique politique de protection d’intérêts non plus seulement militaire, mais désormais également économiques.
En résumé la détermination de la notion de secteur stratégique passera par deux outils alternatifs ou cumulatifs :
Deux outils permettraient de clarifier la notion, sans pour autant écarter totalement ce risque contentieux : une liste énumérative de certains secteurs par décret (option 1 : la création d’une notion autonome propre au CGI), et/ou la précision de la notion par le Bofip puis la jurisprudence du Conseil d’Etat (mais ce dernier point mettra un certain temps à arriver et pourra gêner l’évaluation a posteriori de l’efficacité du dispositif). A noter que dans le cadre d’une précision de la notion par le Bofip il sera possible, mais pas obligatoire, de se reposer sur le cadre du CMF susmentionné.